Dawya Sadani

Psychothérapeute polyvalente, Dawya Sadani travaille en libéral avec une clientèle variée incluant adultes, enfants et couples. Sa pratique s'inspire de l'approche centrée sur la personne, complétée par l'art-thérapie, l'hypnose et l'EMDR. Formatrice certifiée en discipline positive, elle anime des ateliers sur la parentalité et l'éducation bienveillante dans divers contextes éducatifs. Son expertise s'étend au monde de l'entreprise, où elle propose des ateliers visant à améliorer la communication et le bien-être au travail.

Passionnée par la philosophie avec les enfants, elle anime régulièrement des ateliers dans ce domaine. Elle est également auteure.


Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur les relations mère-enfant plutôt que sur les dynamiques père-enfant dans votre analyse du système patriarcal au Maghreb ?

Les patientes qui sont venues me voir à l'hôpital avaient toutes des relations dysfonctionnelles avec leurs mères. En réalité, elles faisaient peu état de leurs pères, sauf pour dire qu'ils étaient absents, ou passifs ou consentants face à ce qui se passait... Ce n'est donc pas vraiment un choix de ma part, en fait, cela s'est fait par défaut. Mon étonnement de départ, et qui a donné lieu au livre, s'est fait par rapport au fait qu'une mère, une maman dans l'imaginaire collectif est à priori censée apporter, au moins à minima, soin, douceur, amour, tendresse affection... et que là, de récits en récits, ce n'étaient que sévices, maltraitances, traumas.. qui avaient été infligés, par ces mères à leurs filles. D'où ce questionnement lancinant avec lequel j'ai vécu toutes ces thérapies: Pourquoi est-ce que cela semble si fréquent ? Est-ce que cela pourrait être dû à quelque chose qui aurait trait au système dans lequel nous évoluons ? Maintenant vous avez raison, cela pourrait vraiment valoir le coup d'étudier la dynamique inverse! Il y aurait certainement également beaucoup, beaucoup de choses à dire.


Votre expérience en tant que psychothérapeute vous a-t-elle aidée à mieux comprendre les mécanismes de la maltraitance maternelle ? Comment avez-vous réussi à garder une posture empathique face à des situations aussi difficiles ?

Je pense qu'à la base toutes ces mères souffrent. Elles ne sont pas bien dans leurs vies, elles ne sont pas bien dans ce rôle de "femme-tais-toi", de "mère-tu devras", de "moins-que rien dans la société tu seras"... qu'on leur a administré, et leurs enfants deviennent des exutoires. Cette sphère de "Mère de" est la seule qu'on leur laisse le privilège de diriger, alors, parfois, elles font de leurs enfants ce qu'elles veulent.

L'une des patientes dont je parle dans le livre, Leila, a beaucoup souffert de sa relation à sa mère dans son enfance, et devient par la suite elle-même ce que l'on pourrait qualifier de "mère maltraitante". J'avais donc un exemple devant mes yeux et je voyais bien qu'elle souffrait le martyre. Pour répondre à votre question peut-être que le fait d'être psy permet d'avoir ce regard "de l'intérieur", qui permet de voir les choses d'un autre angle, sans être dans le jugement exclusif des faits. Mais évidemment je suis humaine, et à l'évocation de certaines histoires j'ai pu ressentir une multitude de choses, dont la colère, la tristesse, la stupeur... mais cela représentait en quelque sorte une partie seulement de ma perception d'ensemble.

Vous évoquez l'importance de la religion dans la légitimation du patriarcat dans les sociétés arabo-musulmanes. Pensez-vous qu'une relecture féministe des textes sacrés pourrait contribuer à remettre en cause ces schémas de pensée ?

Une relecture féministe des textes sacrés, oui, mais dans le sens "humaniste". Nous sommes humains, hommes et femmes au même titre. Le principe d'égalité est inscrit noir sur blanc dans la constitution marocaine depuis 2011. Les femmes doivent pouvoir jouir des mêmes droits que les hommes. C'est une question d'humanisme. Et les hommes doivent aider les femmes à reconquérir leurs droits. Ce n'est pas hommes contre femmes, mais ensemble, pour une meilleur humanité. Aujourd'hui il arrive que nous utilisions les textes sacrés pour leur faire dire ce que l'on veut. Il s'agit de laisser le sacré dans la sphère du sacré. Le lien au Divin doit rester de l'ordre de la sphère privée. Il est grand temps, il me semble, de sortir la question des droits juridiques des femmes des interprétations religieuses et du fiqh pour l'inscrire enfin sur le terrain de la démocratie, de l'égalité et de la citoyenneté.


Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui souhaitent se libérer de l'emprise du patriarcat, tout en faisant face à la pression sociale et familiale ?

Je pense qu'il faut beaucoup de courage pour faire cela. Pour s'émanciper. Et plus on vit dans un milieu traditionaliste et conservateur et plus c'est le cas. Je crois qu'il n'y a pas de recette pour le courage. A un moment donné cela vient des tripes. C'est quelque chose de l'ordre d'un "ça suffit!". Même si cela semble impensable face à la puissance de la pression environnante, quelque chose veut se faire entendre qui dit cela, qui dit:"ça suffit!". Mon conseil serait peut-être de faire confiance à cette voix... Mais ce n'est pas un chemin facile. C'est un chemin parfois solitaire, du moins au début, mais il faut en passer par là pour se libérer.


Selon vous, quels sont les principaux enjeux à long terme liés à la transmission intergénérationnelle des traumatismes et des schémas de maltraitance ? Comment peut-on interrompre ce cycle ?

Il est indéniable que les schémas de fonctionnement psychiques et les traumatismes peuvent se transmettre de génération en génération. Un enfant qui a été chosifié, non considéré, maltraité, a de grandes chances une fois adulte de considérer de prime abord, comme par défaut, ses enfants de la sorte. Même s'il s'en défend, même s'il ne veut pas reproduire ce qu'il a vécu, il y a une certaine empreinte, presque cellulaire, qui se met à l'œuvre lorsqu'en tant que parents nous revivons avec nos enfants les situations que nous mêmes avons vécues étant enfants. Et ce type de systémiques crée des adultes traumatisés à l'échelle communautaire. L'enjeu est grand. Si l'on veut créer des sociétés de citoyens libres, bien portants, bien pensants, heureux d'exister il fautchanger le système à la base, de l'intérieur. Heureusement, tout cela n'est pas inéluctable. On peut arrêter le cycle toxique de transmission. La plasticité du cerveau permet de se reconditionner, de créer de nouvelles connexions neuronales, d'apprendre de nouvelles manières de faire, d'être et de se comporter... Mais cela requiert une grande conscience de soi, l'envie de changer ce qui est établi et également beaucoup de travail sur soi. Un accompagnement, thérapeutique notamment, est souvent nécessaire. 

Mon enfant, cette chose.

Mon enfant, cette chose est un ouvrage puissant et bouleversant qui plonge le lecteur au cœur des relations mère-enfant dans les sociétés du Maghreb. L'auteure, Dawya Sadani, psychothérapeute, partage le récit de trois femmes, Ito, Meryem et Leila, victimes de maltraitance maternelle et dont les vies ont été profondément marquées par ces traumatismes.  Cliquez ici pour l'acheter