Karima Echcherki

Née à Rabat (Maroc), Karima Echcherki est actuellement professeur à la Faculté des Sciences et Techniques de Mohammedia où elle enseigne la chimie et le management de la qualité, de la sécurité et de l'environnement. Après Les Inconsolées, un recueil de nouvelles publiés chez ONZE, et 453, une réflexion sur l'avortement clandestin au Maroc, Karima Echcherki, nous propose avec Taxi Terminus un premier roman qui a reçu le Coup de Coeur du Prix Littéraire René Depestre.  

Karima Echcherki, quelles ont été vos principales sources d'inspiration pour créer cette fresque familiale complexe ?

Mes principales sources d'inspiration pour Taxi Terminus proviennent de mon engagement féministe et de mes observations des dynamiques familiales au Maroc. J'ai voulu explorer comment les pressions sociales, les attentes culturelles, et les changements économiques influencent les relations familiales et le rôle des femmes. La complexité des relations entre les membres de la famille dans le roman reflète les réalités vécues par de nombreuses familles marocaines, où le poids des traditions se heurte souvent aux aspirations de modernité.


Pourquoi avoir choisi de mettre en scène les tensions entre tradition et modernité à travers le prisme de cette famille ?

J'ai choisi de mettre en scène ces tensions parce qu'elles sont au cœur de l'expérience marocaine contemporaine. La famille est le microcosme où se jouent ces conflits entre tradition et modernité. En explorant ces tensions à travers le prisme familial, je souhaitais montrer comment chaque membre de la famille est affecté par ces forces contradictoires et comment ils naviguent entre le respect des coutumes et la quête de nouvelles identités. C'est un reflet de la société marocaine en pleine mutation, où l'ancien et le nouveau coexistent parfois de manière conflictuelle.


Le personnage de Nabil incarne la jeunesse marocaine en quête de repères, comment avez-vous voulu nuancer sa trajectoire entre radicalisation et quête d'identité ?

Nabil est un personnage complexe qui reflète les défis auxquels est confrontée la jeunesse marocaine en quête de repères dans un environnement plein de contradictions. Marqué par l'absence d'un père incapable d'incarner un modèle paternel solide, Nabil se retrouve sans guide familial, ce qui le rend particulièrement vulnérable. À défaut de ce soutien paternel, il se tourne vers un frère du quartier, une figure qui exerce une influence déterminante sur lui. Ce mentor de substitution incarne pour Nabil une forme de respect et de pouvoir qu'il aspire à atteindre, mais qui peut aussi l'entraîner sur des chemins dangereux.

En parallèle, Nabil cherche également des repères sur les réseaux sociaux, où il est exposé à des influences multiples, souvent superficielles ou extrêmes. Sa quête d'identité, nourrie par de mauvaises influences, l'entraîne vers une radicalisation qui est le résultat d'un vide émotionnel et d'un manque de modèles positifs dans sa vie. À travers ce personnage, j'ai voulu montrer les dangers que représente l'absence de figures paternelles et de modèles de comportement stables, et comment cette absence peut conduire les jeunes à se perdre dans des quêtes d'identité destructrices.


Leila et Nadia incarnent des visions opposées de la condition féminine au Maroc, pouvez-vous nous en dire plus sur votre volonté de contraster ces deux sœurs ?

Leila et Nadia représentent deux trajectoires très différentes pour les femmes au Maroc, et ces différences sont profondément influencées par leur relation avec leur mère, Zhor. Leila, la cadette , s'est toujours sentie délaissée par sa mère, un sentiment qui l'a poussée à rechercher son approbation en se conformant aux valeurs et attentes traditionnelles. Elle espère ainsi combler le vide affectif qu'elle a ressenti et gagner la reconnaissance qu'elle n'a jamais pleinement obtenue.

Nadia, en tant que benjamine, a, quant à elle, reçu toute la tendresse maternelle. Cette attention et cet amour se sont traduits par une assurance et une grande confiance en elle, lui permettant de se libérer des contraintes traditionnelles et de poursuivre sa propre voie avec plus d'audace. En opposant ces deux sœurs, j'ai voulu montrer comment la dynamique familiale et l'affection maternelle, ou son absence, peuvent façonner des personnalités et des choix de vie très différents, tout en reflétant la diversité des expériences féminines dans la société marocaine.


Quelle place accordez-vous au rôle de la mère Zhor dans la construction de cette histoire familiale et quels messages souhaitiez-vous transmettre à travers ce personnage?

Zhor est indéniablement le pilier de la famille, celle qui maintient la cohésion malgré les nombreuses tensions qui la traversent. Elle incarne la force, la résilience, et le sens du devoir, caractéristiques essentielles des mères dans la société marocaine. Toutefois, Zhor n'est pas seulement une figure de stabilité ; elle peut aussi se montrer redoutable, en particulier dans sa relation avec Leila. Sa difficulté à pardonner à Leila et le sentiment de distance qu'elle a créé avec elle reflètent la complexité de son caractère.

À travers Zhor, j'ai voulu montrer que même les figures maternelles les plus fortes et les plus admirables peuvent avoir des failles. Son incapacité à accorder son pardon à Leila souligne la rigidité qui peut parfois accompagner le sens du devoir et du sacrifice. Zhor représente donc non seulement l'amour et la protection, mais aussi les attentes et les jugements sévères qui peuvent peser lourdement sur les membres de la famille. Le message que je souhaitais transmettre est que la figure maternelle, aussi sacrée soit-elle, est humaine et porteuse de ses propres contradictions, ce qui la rend à la fois admirable et imparfaite.

Taxi Terminus

Taxi Terminus est un roman de Karima Echcherki qui plonge le lecteur dans les réalités complexes de la société marocaine contemporaine. L'histoire suit les destins entrelacés de la famille Derbouchi, révélant les défis auxquels sont confrontés les individus dans un contexte social en mutation. Le récit s'ouvre sur le parcours du médecin El Yazidi, récemment de retour au Maroc après une expérience en France. Cliquez ici pour l'acheter

Les inconsolées

De la femme d'hier cantonnée à son univers domestique, à celle d'aujourd'hui qui a peu à peu conquis l'espace public et professionnel, les injustices et discriminations perdurent dans une société culturellement patriarcale. Les mêmes histoires se répètent avec les mêmes maux. La violence envers les femmes, calfeutrée hier entre les murs, défraie aujourd'hui les chroniques des faits divers. Cliquez ici pour l'acheter