Mohamed Laroussi
Après une longue carrière dans la communication et l'enseignement de la publicité, Mohamed Laroussi a décidé un jour de « changer de vie » et de se consacrer à ses passions de toujours : l'écriture et le cinéma. Depuis, il est écrivain, scénariste et chroniqueur. Il a déjà publié cinq ouvrages : « Satire sur tout ce qui bouge » (Essai), « Que personne ne rigole » , « La fureur de rire » (Compilations de billets et chroniques), « Marx est mort, mon amour » (Roman) et "Méditations et médisances" (Compilations de chroniques). Il a créé avec Géraldine Bueken la société Sciptlab, dédiée à l'écriture de commande, la direction d'écriture, le script-doctoring et la formation et a co-écrit avec elle le scénario (« l'anniversaire ») un long métrage pour Latif Lahlou, réalisé en 2014. Il collabore avec plusieurs cinéastes pour l'écriture ou en tant que script doctor de leurs scénarios.
Quelle a été votre principale motivation pour écrire ce récit autobiographique ? Souhaitiez-vous transmettre un message particulier à travers l'histoire de votre famille ?
C'était plus qu'une simple motivation. C'était littéralement une obligation. Écrire ou périr. Écrire ou dépérir. Après le décès pourtant très prévisible de ma mère, j'ai été tellement bouleversé, tellement déboussolé que j'ai failli tomber dans une dépression qui me semblait inéluctable. Me mettre aussitôt à l'écriture pour raconter l'histoire de ma défunte maman, de mon défunt papa et celle de toute ma famille, était pour moi une bouée de sauvetage. J'ai écrit ce livre non pas pour oublier, ou pour faire mon deuil, mais pour survivre, ou plutôt pour essayer de continuer de vivre après le départ des êtres les plus chers, à savoir mes parents. Très sincèrement, je n'avais aucun message particulier à transmettre à travers l'écriture de « Dar Mima ». Je l'ai écrit dans un élan très égoïste, pour « sauver ma poire », pour guérir de la plus terrible et la plus incurable des maladies : la perte de celle qui m'a mis au monde. Cela dit, consciemment ou inconsciemment, je ne sais plus, je me suis mis à étaler l'histoire de ma vie et celle de ma famille et partager ainsi mes souvenirs heureux ou moins heureux.
Vous évoquez la figure imposante de votre père, El Haj Laroussi, et son influence déterminante au sein de votre famille. Comment avez-vous réussi à le dépeindre avec autant de nuance, entre admiration et distance critique ?
C'était l'élément le plus délicat de l'écriture de ce livre. Comment écrire sur un père hors normes, un patriarche charismatique mais si autoritaire comme on n'en fait plus, sans le désacraliser et surtout lui manquer de respect ? Si je l'avais fait, aucun membre de ma famille, voire aucun proche, aucun ami et aucun voisin ne me l'aurait pardonné. En vérité, je pense que ce qui m'a évité tout dérapage sémantique irrespectueux ou irrévérencieux, c'est la profonde admiration proche de l'idolâtrie que j'avais commencé à avoir et à entretenir pour mon père, dès mon retour de France, et ce, après une très longue période d'incompréhension mutuelle et d'absence quasi totale de communication.
La relation entre votre mère et votre père semble être au cœur de votre récit. Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'évolution de cette relation, notamment après le décès de votre père ?
La relation de ma mère et de mon père est effectivement l'axe central de mon récit. Cette relation m'a toujours intrigué. Elle était aux antipodes de ma conception moderniste et progressiste du couple, pourtant je n'ai jamais essayé de la critiquer, encore moins la condamner. Mieux : je la comprenais en essayant de la mettre dans son contexte « historique ». Mon père se comportait avec maman avec un autoritarisme manifeste, mais en même temps, il semblait avoir un respect et un « amour » sans limites. En fait, ma principale crainte, après le décès de mon père, c'est que ma mère, trop soumise à mon père ou trop dépendante de lui, ne puisse pas être capable d'assurer la relève. Et pourtant, contre toute attente, et malgré toutes les contraintes et tous les obstacles, elle a réussi à devenir très rapidement la patronne incontestée et respectée de Dar Mima.
Vous abordez la notion de "grande famille" avec ses aspects positifs et négatifs. Pensez-vous que ce modèle familial soit encore prégnant dans la société marocaine contemporaine ? Quels en sont les enjeux, selon vous ?
Hélas, il n'y a quasiment plus de « grande famille » au sens où l'était ma famille et l'étaient tant d'autres à cette époque désormais révolue. Nous sommes entrés, depuis déjà assez longtemps, dans l'ère dans la famille nucléaire, dans son sens le plus fermé et le plus égoïste. Certes cette famille est « moderne » et « évoluée » dans ses aspects extérieurs, par son confort et par son fonctionnement, mais ses membres, de plus en plus moins nombreux, n'arriveront jamais à connaître, à ressentir et à bénéficier la chaleur de la « grande famille », sa générosité et sa convivialité.
Vous évoquez dans votre livre les transformations de la société marocaine, notamment à travers les changements dans les traditions et les pratiques familiales. Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels est confrontée la famille marocaine aujourd'hui ?
Justement, s'il est vrai que la famille marocaine a « évolué » avec son temps, qu'elle a gagné en confort et en « modernité », elle a en revanche perdu l'essentiel de ce qu'était la vie au temps des « anciens » : l'esprit de la communauté, le partage, la chaleur, la générosité, la solidarité et la cohabitation dans la joie et la bonne humeur du vivre ensemble. Tout cela est presque fini. Nous sommes entrés dans l'ère de l'égoïsme absolu et du chacun pour soi, et nous aurons beaucoup de mal à nous en sortir.
Les défis sont très nombreux, et le principal et le plus important est celui de maintenir coûte que coûte l'esprit de famille. Mais encore faut-il que quelqu'un ait encore envie aujourd'hui de le relever.